10 février > 8 mars 2025
Ecole Auvray Nauroy - Saint Denis
Ce stage se concentre sur la série culte de Fassbinder sur la classe ouvrière, censurée pour son fort impact social. Les participant.es exploreront des épisodes non filmés, abordant des thèmes de solidarité et d’émancipation.
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INTENTION Pierre MAILLET
Huit heures ne font pas un jour
« Série culte de Fassbinder, dont les cinq premiers épisodes ont été diffusés à la télévision allemande d’octobre 1972 à mars 1973, Huit heures ne font pas un jour est une fresque familiale sur le monde ouvrier, joyeuse et subversive. Elle décrit la vie quotidienne d’une famille de la classe ouvrière en Allemagne de l’Ouest, entre utopie prolétaire et anticonformisme culturel des années 1970. Fassbinder y aborde aussi bien les revendications sociales et le syndicalisme ouvrier, que le désir d’émancipation des femmes par le travail, ou l’essor du consumérisme avec l’ouverture de l’Allemagne de l’Ouest au libéralisme occidental. Loin du documentaire social, c’est une démarche fictionnelle que revendique Fassbinder, forçant le trait optimiste, pour donner de l’espoir et renseigner sur le pouvoir de l’action collective et la force de la solidarité. « C’est presque un crime de représenter le monde tel qu’il est », disait-il.
Jamais auteur n’aura été plus attentif à son époque et aux gens que Rainer Werner Fassbinder dans les années 70/80 (à part peut-être Almodovar en Espagne qui prendra en quelque sorte le relais après la mort prématurée de Fassbinder en 82 à l’âge de 37 ans). Boulimique jusqu’à l’épuisement, cinéaste, dramaturge, acteur et chef de troupe, l’impressionnante filmographie de Fassbinder -40 films en 10 ans (une dizaine de pièces de théâtre sans compter ses nombreuses mises en scène et adaptations) a toujours été une source intarissable d’inspiration pour moi.
La « comédie humaine » de Fassbinder est une œuvre construite pierre par pierre où chaque film a une fonction particulière et fondatrice. « Certains de mes films sont la cave, d’autres le salon, la chambre ou la cuisine mais j’espère qu’à la fin on aura une maison. » aimait-il à dire de son travail. Pour cette raison, j’ai toujours trouvé un peu frustrant de ne monter « qu’une » pièce de lui. « Je fais des films comme si je faisais du théâtre et je mets en scène au théâtre comme si je réalisais des films » Après avoir mis en scène la quasi-totalité de son théâtre, et m’être attaqué à son œuvre cinématographique dans
« Le Bonheur (n’est pas toujours drôle) » où je mettais 3 de ses films en écho « Le droit du plus fort », « Maman Küsters s’en va au ciel » et « Tous les autres s’appellent Ali », je suis très heureux d’aborder avec ce stage un autre aspect de sa filmographie : la télévision.
A l’instar d’autres grands cinéastes européens comme Ingmar Bergman, Krsysztof Kieslowski ou Maurice Pialat pour n’en citer que 3, Fassbinder a toujours considéré ce média comme une façon d’atteindre un public plus large et plus diversifié tout en gardant la portée politique de son cinéma qu’il avait déjà rendue plus accessible au milieu des années 70 sous la forme de « mélodrames sociaux ». Rendant par ce biais un hommage vibrant à son compatriote Douglas Sirk qui dans les années 50 avait subtilement rempli de messages humanistes les mélodrames que les grands studios hollywoodiens
lui commandaient à la chaîne pour (soi-disant) un public de femmes au foyer.
Dans ses travaux télévisuels, Fassbinder n’a jamais méprisé ce média (et le public avec) lui réservant même des expériences ultimes et pas si évidentes que ça sur le papier : notamment l’adaptation d’un roman de science-fiction « Le monde sur le fil », et bien sûr son grand œuvre qui fait presqu’office en 1980 de point culminant dans sa carrière : « Berlin Alexanderplatz », roman d’Alfred Doeblin, fondateur pour Fassbinder, qu’il développera sous forme de 11 épisodes variants de 50 minutes à 1 heure 30 et d’un épilogue personnel de 2h30 sur son rêve de Franz Biberkopf (personnage principal du livre dont il empruntera le nom dans plusieurs de ses films). Le succès sera au rendez-vous à chaque fois.
Mais le plus grand impact de Fassbinder à la télévision restera « Huit heures ne font pas un jour », série composée de 8 épisodes dont la réussite et le retentissement populaire mèneront la chaîne allemande WDR à en arrêter la production après le 5ème épisode, craignant un soulèvement social d’une ampleur insoupçonnée. Ce n’est donc pas rien de dire à quel point le message était clairement passé cette fois, et à quel point l’édition et la traduction française des 8 épisodes écrits par Fassbinder en 1972 constituent un véritable événement. Dans ce stage, j’aimerais surtout concentrer notre travail sur les 3 derniers épisodes de la série, qu’il n’a donc jamais pu tourner, et qui semble-t-il n’ont pas été montés non plus dans la mise en scène de Julie Deliquet lors de la création du spectacle en 2020. Afin de raccrocher les wagons et de ne pas compliquer ce qui est volontairement simple, nous travaillerons aussi le « comment raconter ce qui s’est passé dans les épisodes précédents » si reconnaissable dans le genre, sous la forme d’un « previously ». Comme n’importe quel téléspectateur prend une série en cours de route, ce sera une façon ludique de nous emparer d’une histoire avant de l’incarner totalement, permettant aussi aux acteurs de s’approprier leurs personnages en se nourrissant d’une biographie que le public ne verra pas.
La beauté de cette saga « familiale et ouvrière » comme Fassbinder la décrit lui-même réside aussi dans l’amour qu’il porte à cette communauté transgénérationnelle qui plus est, « 8 heures ne font pas un jour » étant peut-être la seule œuvre volontairement positive de toute sa carrière. Que ce soit son œuvre la plus lumineusement humaniste qui soit paradoxalement censurée par la télévision malgré l’énorme succès public auprès des téléspectateurs, en dit long sur la puissance insoupçonnée de la saga. »