Marcial Di Fonzo Bo et Copi, c’est une histoire qui dure.
La Tour de la Défense, rarement jouée, est la troisième pièce de cet auteur qu’il met en scène. On pourrait croire que Copi s’est amusé à prendre des personnages de Boulevard américain psychologique : « un vaudeville moderne et déjanté dans un espace design fonctionnel et propre. Une tour des solitudes ». L’histoire se passe le 31 décembre 1977. Un couple d’homosexuels blasés, une jeune mère meurtrière, un travelo mythomane et Ahmed, beau comme Dieu lui-même, sont tassés dans un appartement moderne, au treizième étage d’une Tour de la Défense, en attendant la nouvelle année. Une version loufoque de l’apocalypse, avec dégustation de serpent farci au rat, crash d’hélicoptère et incendie généralisé. Pour Marcial Di Fonzo Bo, l’intérêt, le comique, viennent si les situations les plus abracadabrantes sont jouées dans un style des plus réalistes, en tout cas comme si elles étaient des plus normales.
À partir de là, les protagonistes s’amusent à jouer avec les limites de l’acceptable. Des expériences de plus en plus border-line. Mais nous restons fidèle à Copi, à son élégance, à la sobriété des dialogues qui semblent écrits pour le cinéma. Copi se permet tout et ouvre progressivement les portes du néant, avec un humour acide et vif. Il trace au scalpel le dessin d’une communauté d’hommes modernes égarés et seuls le soir du nouvel an…
Entretien de Valérie Dardenne avec Marcial Di Fonzo Bo réalisé en février 2005 – MC 93 Votre lien avec Copi existe depuis un certain temps.
La Tour de La Défense est la troisième pièce que vous montez de lui ? En 1998, il y a eu Copi, un portrait, à Barcelone. Puis Eva Peron au Chili en 2001. C’est très agréable de retrouver un auteur, plusieurs années après. La relation intime avec l’écriture a évolué, s’est élargie, mais en même temps, on redécouvre tout sous un regard différent. Le premier spectacle était un parcours à l’intérieur de toute l’oeuvre de Copi, une manière d’aborder l’artiste à travers différentes facettes : ses dessins, ses romans, ses performances d’acteur. Mais aussi un questionnement du contexte historique : Paris dans les années 70. Il y a là une liberté inouïe, un réel questionnement des formes d’expression. Nous étions trois à jouer, avec Elise Vigier et Pierre Maillet du Théâtre des Lucioles, qui se retrouvent à nouveau avec moi pour cette production. Après une longue tournée, nous avons été invités à jouer en Amérique du Sud et paradoxalement, il a fallu traduire les textes en espagnol car Copi a écrit presque tout en français. Et quand nous nous retrouvons en 2000 en Argentine et au Chili, le projet naît de monter Eva Peron avec des acteurs chiliens. Depuis 1984, l’Argentine est une démocratie, mais pendant les années de dictature, Copi était interdit. Il n’était pas directement poursuivi, mais la création d’Eva Peron à Paris en 1969 avait fait un remous suffisant, pour que Copi ne se rende ni en Argentine, ni en Amérique du Sud et ce, de 1976 à 1984. Son écriture était donc réduite au silence. On a joué ce deuxième spectacle et ce fut le retour triomphal du grand texte tabou de Copi à Buenos Aires.
Parmi vos différentes mises en scène, ce sont principalement des textes de Copi ? Avec notre compagnie, le Théâtre des Lucioles, nous avons monté essentiellement des textes contemporains : Fassbinder, Genet, Peter Handke, Philipe Minyana, Lars Noren, Rodrigo Garcia ou encore Pier Paolo Pasolini. J’ai mis en scène les deux spectacles de Copi, mais aussi, L’excès-l’usine de Leslie Kaplan, et une nouvelle adaptation d’OEdipe d’après Sophocle et Sénèque.
La Compagnie réunit une dizaine d’acteurs et je pense la mise en scène comme la continuité de mon travail d’acteur. Je décide d’un cadre qui est le décor, du choix de la pièce bien sûr, mais à partir de là, c’est une énergie commune qui se dégage du plateau. Le travail des acteurs est au centre de la création. J’ai pourtant travaillé avec de grands metteurs en scène, Claude Régy ou Matthias Langhoff, mais l’emprise du metteur en scène sur le jeu des acteurs me questionne de plus en plus. Et c’est mon passage à la mise en scène qui m’a fait comprendre ça : ce que c’est que de diriger un acteur, d’ailleurs je trouve troublante l’expression « diriger des acteurs ». J’aurais plus tendance à être un chef de troupe. J’ai beaucoup de mal, quand je vais au théâtre, à voir des acteurs jouer de la même façon. Je trouve cela extrêmement gênant.
Comment abordez vous le travail de création ? Ça dépend des projets. Je crois que le théâtre de Copi est écrit pour être dit. Il y a une vraie révélation quand on est sur le plateau. Copi aimait les acteurs et il aimait surtout jouer lui-même. Son écriture est une porte ouverte à la liberté. On le retrouve caché derrière chacune des répliques. C’est flagrant quand on voit ses dessins, il y a une évidence de trait. Les personnages de théâtre sont aussi parfaitement dessinés. Le trait est précis, mais la liberté de jeu est totale.
Comment en êtes-vous venu à La Tour de La Défense ? Je trouvais intrigant de travailler sur cette pièce car elle est rarement montée. Pour approfondir ma rencontre avec Copi, j’aimais bien l’idée d’aller dans ce qu’était le plus éloigné de l’idée que le public se fait de lui. Tu parles de Copi à n’importe qui, il répond : « oui, c’est fou ». Ici, la folie va plus loin. Elle met en scène quelque chose d’extrême : Dans un appartement du treizième étage six personnages sont enfermés. Une sorte d’antichambre avant l’Apocalypse. Le premier acte se passe le 31 décembre et le deuxième acte le 1er janvier, et les six personnages ont une heure et demie pour résoudre leur destin, sans le savoir. Les personnages de La Tour de la défense sont terriblement actuels. Copi parle comme personne de la solitude dans le monde actuel, et sa vision de l’humanité, sa lucidité par rapport aux rapports humains, est incroyable. Chacune de ses pièces s’inspire d’un genre ou d’un autre. Celle-ci se passe en 1977, c’était l’époque des psychoplays aux Etats-Unis, c’est donc d’un drame psychologique qu’il s’agit, revu et corrigé, évidemment. Il y a aussi du vaudeville, de la comédie de portes. C’est aussi un polar parfait. Un peu à la manière de Cassavetes, dans Opening Night, ici le genre emprunté est le point de départ pour autre chose. Il y a un décalage qui fait qu’on en rit, car c’est aussi très drôle, mais c’est troublant. On sort assez troublé de ce qu’on a vu et entendu . C’est loin de ce que l’on connaît et en même temps c’est du Copi pur.
La pièce se lit comme un polar, elle vous emmène et on ne la quitte pas Complètement. Jusqu’à la fin, tu ne sais pas qui est l’assassin, ou plutôt, pourquoi un enfant a été assassiné. Copi aimait le cinéma des années 40, les divas du cinéma américain et les grandes heures du cinéma de suspense. La pièce est aussi forte qu’un Hitchcock, j’en suis convaincu. C’est quelque part entre La corde de Hitchcock, La Tour infernale et n’importe quelle prestation de Jacqueline Maillant au boulevard.
Et tout cela qui vous a amené à faire une distribution avec des acteurs qui sont plus des acteurs de cinéma ? Bien sûr. Le dispositif bi-frontal, la proximité du public avec les acteurs, le fait qu’on soit constamment à l’intérieur d’une bandeson, tout est pensé pour que l’on approche des émotions que l’on peut ressentir uniquement au cinéma. Il y a aussi de la vidéo, presque comme un décor, un peu comme les ciels incrustés dans les films de Hitchcock. Quand ils s’approchent de la fenêtre, on voit que le ciel est incrusté, et qu’il fait partie de l’enfermement. Il n’y a pas de dehors, le dehors n’est pas réel. Il y a en plus de l’équipe des Lucioles, Marina Foïs, Clément Sibony, Jean-François Auguste et Mickaël Gaspar.