Je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rigoler écrit Pierre Molinier avant son suicide, en 1976. Sorte d’anarchiste libertaire, l’homme tirait sa révérence, à 76 ans, en un dernier pied de nez aux conventions et aux inhibitions. D’abord peintre, découvert par André Breton, Pierre Molinier abandonne cette activité en 1960 pour systématiser et peaufiner la technique du photomontage. Celui qui disait notre mission sur terre est de transformer le monde en un immense bordel allait désormais se consacrer à ses obsessions d’un art corporel, autour du fétichisme des jambes et du travestissement. Ses photos-montages sont autant d’autoportraits dans lesquels il se démultiplie. Avec la complicité de Pierre Maillet, du Théâtre des Lucioles, le vidéaste Bruno Geslin a imaginé un spectacle, une mise en images plutôt qu’une mise en scène, autour de l’œuvre photographique et la vie de l’artiste Pierre Molinier. Un homme libre et lumineux qui pratiquait un art magique, surtout pas graveleux, et qu’il est impossible d’enfermer dans une identité, qu’elle soit sexuelle, politique ou artistique. Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… nous plonge dans son univers, dans un rapport d’hallucination qui mêle les corps, les images, les présences, comme si on se trouvait dans l’atelier de Pierre Molinier. Notre mission sur terre est de transformer le monde en un immense bordel.
Pierre Molinier est un sorcier, un chaman comme il aimait à se définir lui-même.
Pierre Molinier en escarpins, armé de godemichés, jambes gainées bas coutures, voilette, masque ; combattant nocturne et acharné, se photographiant vainqueur, plus tout à fait homme, pas tout à fait femme, victorieux androgyne, créature de ses propres fantasmes, créature engendrant d’autres créatures inquiétantes et inconnues – monstres aux jambes multiples livrant eux-mêmes des combats archaïques avec leur propre chair, leurs propres membres, photographiées, découpées, réorganisées, recomposées et devenues vivantes finalement, extirpées du chaos.
Pierre Molinier est un fétichiste, bien sûr, si l’on considère que la définition de fétiche au XVe siècle est : « Ce qui a vocation à rendre compte des mystères de cultes impénétrables » et que son origine portugaise, feitiço, signifie : « charme magique ». Pierre Molinier est provocateur, obsessionnel, sulfureux, colérique, subversif, déterminé et insoumis… Bruno Geslin Le drame de l’artiste est dans la part qu’il prend dans l’univers et l’univers de chaque individu c’est lui-même. Pour le peintre, son oeuvre est le résultat du drame intime de l’univers qu’il s’est créé. Pierre Molinier Je me trouvais, pour la première fois de ma vie devant un homme qui de toute évidence, selon le mot fameux, avait tué en lui la marionnette, qui s’était affranchi non seulement des convenances, des mœurs, de la morale, mais aussi et surtout des contraintes internes que notre être oppose au désir. Je mesurai combien la chose la plus simple au monde qui soit, exprimer son désir et le vivre lorsque cela ne dépend que de soi est aussi la chose la plus impossible, et devant quel martien nous nous trouvons si, sous nos yeux, parle et se meut un être libre. Pierre Bourgeade